Montpellier - Au sujet des libertés d'association, d'expression Lettre ouverte au maire de Montpellier
Par LIBRE PENSEE LIBRE PENSEE, le 03 Octobre 2023
Au sujet des libertés d’association, d’expression, et du prêt des salles municipales
Lettre ouverte au maire de Montpellier.
Monsieur le Maire,
Nous vous écrivons car nous estimons qu’il existe un problème au sujet de la liberté de réunion et d’association à Montpellier.
Nous relevons que vous avez fait, depuis votre arrivée comme maire, de très nombreuses déclarations en faveur de la liberté d’expression. Reportage dans votre classe, référence appuyée à Voltaire, aux Lumières, interview sur interview… vous insistez très lourdement sur votre attachement sans la moindre concession à la liberté d’expression.
Qui pourrait vous contredire, tellement ce principe de liberté d’expression est partagé ?
Nous sommes obligés de relever, cependant, que souvent, quand il s’agit d’évoquer la liberté d’expression, assez rapidement, vous évoquez les caricatures de Charlie Hebdo, la liberté de critiquer l’Islam, et l’assassinat de Samuel Paty. Nous ne forçons pas le trait : il suffit d’aller regarder pour s’en convaincre.
Cependant, un certain nombre d’organisations, dont la nôtre mais pas seulement, fait le constat suivant : si sur le papier, tout le monde peut demander une salle municipale pour se réunir, s’organiser et s’exprimer, la réalité est un peu différente.
Dans les faits, certains ont clairement un accès rapide à une salle municipale, sans même parfois attendre le délai officiel de deux mois (délai qui est déjà en lui-même décourageant et donc une entrave à la liberté d’association donc d’expression). À l’inverse, certains se voient toujours refuser une salle municipale. Bien sûr, ce n’est pas un refus motivé explicitement par des divergences politiques, mais il s’agit dans la réalité de cela. Récemment, des dizaines d’organisations l’ont dénoncé au sujet de l’invitation du président d’Amnesty International et d’un avocat franco-palestinien. Mais ce n’est pas nouveau, c’est même pratique courante.
Ce système est pernicieux et vous devez le savoir. En effet, aux termes de l’article L. 2144-3 du code des collectivités territoriales, le Maire est seul habilité à déterminer les modalités pratiques de mise à disposition de locaux à des tiers : « Des locaux communaux peuvent être utilisés par les associations ou partis politiques qui en font la demande. Le maire détermine les conditions dans lesquelles ces locaux peuvent être utilisés, compte tenu des nécessités de l'administration des propriétés communales, du fonctionnement des services et du maintien de l'ordre public. »
Ainsi, vous pourriez invoquer, pour refuser, le maintien de l’ordre public. Mais vous ne le faites pas. Vous savez très bien que cela pourrait ainsi justifier un recours, et vous ne souhaitez pas avoir à affronter le regard du juge administratif, qui pourrait vous donner tort.
Vous ne pouvez également pas justifier sur le fond un tel refus. Vous savez très bien que si vous invoquiez une divergence politique avec une organisation, vous seriez également probablement censuré : le Conseil d’Etat a jugé, en effet, que le refus d’une demande de salle municipale est illégal s’il porte atteinte à une liberté fondamentale telle que la liberté de réunion (CE, 15 mars 1996, M. Cavin, n°137376), la liberté de culte (voir CE, 26 août 2011, Commune de Saint-Gratien, n° 352106) ou la liberté d'association (voir CE, 30 mai 2007, Ville de Lyon, n° 304053).
Nous vous rappelons, Monsieur le Maire, que la liberté d’association a d’abord été reconnue lors de la Révolution Française, par l’article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Elle a été précisée, comme un droit, dans la loi du 21 août 1790. Des loges maçonniques et des clubs politiques se créent un peu partout : ce fut l’apprentissage de l’art de s’associer.
Mais surtout, c’est la grande loi de 1901 qui a consacré pleinement la liberté pour des citoyens de constituer des associations, sans demander d’autorisation préalable : ce fut rappelé d’ailleurs bien plus tard, par un arrêt célèbre du Conseil d’État, le 11 juillet 1956 : « Amicale des Annamites de Paris » puis consacré comme principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLP). Ce principe a été également confirmé comme PFRLR par le Conseil Constitutionnel, sans doute pour ne pas perdre de son brillant à côté du Conseil d’État.
Pour que cette liberté d’association soit effective, évidemment, il faut qu’elle puisse s’exercer, et que les salles des municipalités, qui sont construites et entretenues par les impôts des citoyens, puissent être prêtées à ces mêmes citoyens qui ont payé.
Aussi, la Libre Pensée a cessé de demander des salles municipales, pour éviter de se voir indiquer que « la salle n’est pas libre » et devoir faire semblant d’y croire. Parfois, pour ne pas provoquer de conflit, on fait semblant de croire un mensonge éhonté, mais il est quand même plus agréable d’avoir des rapports francs, surtout que les services de la mairie sont parfois dans l’embarras en relayant des consignes et en étant poussés à mentir.
En faisant ainsi, vous évitez tranquillement la juridiction administrative, en pariant sur le fait que personne ne pourra prouver qu’il y a manœuvre pour censurer.
Cependant, Monsieur le Maire, deux remarques :
1. Vous n’êtes pas le propriétaire des lieux, en l’occurrence des bâtiments de la République. Vous vous comportez comme tel, mais en théorie, un élu devrait être aux services des citoyens, et traiter correctement et à égalité les organisations. Bien sûr, ce n’est pas le cas très souvent, pour bien des maires qui n'ont pas en tête le respect des principes républicains et le service des citoyens, mais seulement une démarche politicienne au service de leurs propres intérêts. Quoi qu'il en soit, vous pourriez au moins feindre de respecter les règles édictées par la loi et le Conseil d’État.
2. Il est beau d’évoquer à tout bout de champ la liberté d’expression avec des trémolos dans la voix, en surjouant l’empathie et la conviction inébranlable. Mais si c’est seulement pour sous-entendre lourdement, en plaçant du « Charlie Hebdo » et de « l’islamisme » de ci de là, que les musulmans menacent notre France bien de chez nous, puis donner des instructions pour que les salles ne soient accordées qu’à ceux qui pourraient vous rapporter quelque chose dans une quête de notoriété, nous vous posons la question : est-ce bien glorieux ?
Nous pourrions vous remercier de ne pas avoir demandé, par-dessus le marché, la signature du contrat d’engagement républicain, découlant de la loi dite « séparatisme » du 24 aout 2021, en préalable à la demande d'une salle selon les critères évoqués plus haut. Mais peut-être qu’après le succès un peu mitigé de la « charte de la laïcité » vous êtes-vous dit qu’un fiasco par mandat auprès des associations était amplement suffisant.
En bref : plutôt que de communiquer à tout va votre attachement à la liberté d’expression, commencez donc pas la mettre en œuvre très modestement dans votre ville, la simple conformation aux règles édictées par le droit serait déjà un grand progrès.
Comme d’habitude, nous sommes disposés à vous rencontrer pour permettre à ce que les choses soient rétablies normalement et qu’une dose de cohérence puisse être ajoutée dans la gestion de votre communication. Nous n’avons pas eu beaucoup de succès quant à nos demandes de discussion jusqu’à présent, mais qui sait, comme avec Saint-Roch qui guérissait de la peste après avoir été sauvé par un chien : un miracle est toujours possible à Montpellier.
Au plaisir de vous lire,
Cordialement,
La Libre Pensée.
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