Hérault - Antiviraux, anticorps, immunomodulateurs… Où on est-on des traitements anti-Covid-19 ?

Hérault - Antiviraux, anticorps, immunomodulateurs… Où on est-on des traitements anti-Covid-19 ?

Hérault - Antiviraux, anticorps, immunomodulateurs… Où on est-on des traitements anti-Covid-19 ?

Par Dominique Costagliola, Inserm, le 24 Février 2022

Épidémiologiste et biostatisticienne, membre de l’Académie des Sciences, Dominique Costagliola est directrice de recherche émérite à l’Inserm. Elle fait le point pour The Conversation sur l’avancée des recherches concernant les antiviraux anti-Covid-19.


The Conversation : Qu’est-ce qu’un « bon » antiviral ?

Dominique Costagliola : Cela dépend de la maladie.

Dans les cas d’une pathologie longue, pour laquelle on va être traité à vie, telle que l’infection par le VIH, il est important que les antiviraux fassent diminuer rapidement la charge virale, qu’ils n’entraînent pas trop d’effets indésirables, et que leur formulation soit simple pour faciliter leur prise régulière. Par ailleurs, leur mode d’administration ne doit pas être trop lourd. S’il faut se rendre à l’hôpital tous les deux mois pour recevoir son traitement par intraveineuse, c’est probablement acceptable, mais s’il faut y aller plus souvent, la qualité de vie s’en ressent forcément…

Dans le cas d’une maladie virale brève, comme le Covid, les choses sont différentes, car les manifestations cliniques sont généralement de courte durée (si l’on excepte le cas des patients qui développent un Covid long). Dans un tel cas de figure, un bon antiviral doit avant tout être facile à utiliser (voie orale, avec peu d’interactions), et surtout accessible rapidement.

TC : Cette rapidité d’administration constitue un facteur clé, dans le cas du SARS-CoV-2 ?

DC : Oui. Et ce, quelle que soit l’efficacité de l’antiviral. En effet, pour être efficace, le médicament doit être administré dans les quelques jours qui suivent l’apparition des symptômes, afin d’empêcher que le virus ne se dissémine dans le corps et ne déclenche la « tempête cytokinique » – autrement dit, l’inflammation généralisée – qui survient chez les patients atteints de formes sévères. C’est elle qui est notamment à l’origine de la destruction de leurs poumons.

Or, administrer précocement les traitements n’est pas toujours simple. Les patients inclus dans l’essai « Coverage » (un essai thérapeutique français visant à évaluer la sécurité et l’efficacité des traitements anti-Covid administrés en phase précoce à des malades risquant de développer des formes sévères, dont une particularité d’être mené en ambulatoire plutôt qu’à l’hôpital, ndlr) étaient en médiane inclus dans les 4 jours qui suivaient le début des symptômes. Cela signifie que la moitié était incluse plus tard, et ce, alors même que le contexte d’un tel essai clinique est « idéal », puisque les moyens et le suivi sont conséquents.

C’est la raison pour laquelle la rapidité d’accès aux tests de dépistage est essentielle. Actuellement, les gens non vaccinés (qui sont les plus à risque d’infection, voire de développer des formes sévères) doivent passer par une prescription médicale pour être remboursés de leur test, ce qui peut allonger les délais de prise en charge.

TC : Comment fonctionnent les antiviraux ?

DC : On distingue plusieurs modes d’action. Certains antiviraux sont des inhibiteurs de la protéase virale, une enzyme essentielle du virus. Le Paxlovid de Pfizer fonctionne de cette façon. Il s’agit d’un mélange de deux inhibiteurs de protéase : le nirmatrelvir (ou PF-07321332), qui inhibe la protéase du SARS-CoV-2, et le ritonavir, un inhibiteur de protéase dont le rôle est de limiter la dégradation du nirmatrelvir par les enzymes qui s’y attaquent (le ritonavir est aussi utilisé comme « booster » dans la lutte contre le VIH).

D’autres antiviraux prennent plutôt pour cible le génome du virus. C’est le cas par exemple du molnupiravir (nom commercial : Lagevrio) mis au point par le laboratoire Merck. La molécule de molnupiravir « leurre » l’enzyme qui réplique l’ARN viral, l’ARN polymérase. Celle-ci l’intègre dans les molécules d’ARN qu’elle assemble, à la place des composants « normaux » (cytidine triphosphate ou uridine triphosphate). L’intégration du médicament perturbe la fabrication de l’ARN et entraîne de nombreuses mutations, lesquelles rendent les virus nouvellement produits inactifs.

Selon Pfizer, l’efficacité du Paxlovid pour prévenir les formes graves est de 89 % s’il est administré dans les trois jours suivant l’apparition des symptômes, et de 85 % s’il est administré dans les 5 jours, tandis que selon Merck, le molnupiravir réduit de 30 % le risque d’hospitalisation et de décès (initialement, le chiffre de 50 % avait été évoqué).

Un troisième produit, l’AT-527 des laboratoires Atea Pharmaceuticals et Roche, cible lui aussi l’ARN polymérase dont il inhibe une fonction essentielle.

Tous ces antiviraux sont les antiviraux « classiques », qui sont administrés sous forme de comprimés. À titre d’exemple, la posologie du Paxlovid est de 2 comprimés (un de nirmatrelvir et un de ritonavir) 2 fois par jour, pendant 5 jours. Celle du molnupiravir est de 800 mg (soit 2 gélules de 200 mg, 2 fois par jour) pendant 5 jours.

Reste maintenant à accumuler davantage de données pour s’assurer de la sécurité d’emploi de ces antiviraux. Les essais conduits par les laboratoires sont de petite taille. Il faut s’assurer qu’ils ne sont pas passés à côté d’effets indésirables graves, mais rares, en particulier dans le cas du Molnupiravir qui, bien qu’autorisé au Royaume-Uni et aux États-Unis, est déconseillé aux femmes enceintes, car on craint des effets mutagènes. Il faut aussi vérifier leur efficacité chez des personnes vaccinées et sur les variants actuels du virus.

The Conversation : Ces antiviraux sont-ils disponibles dans notre pays ?

DC : Le Paxlovid a reçu une autorisation conditionnelle de l’Agence européenne des Médicaments (EMA). Il est disponible sur prescription médicale dans les pharmacies depuis début février.

Ce n’est pas le cas du Molnupiravir, dont l’évaluation se prolonge.

L’AT-527 devrait faire l’objet d’un essai clinique de phase 2 en 2022, selon son fabricant. Il n’est pas encore autorisé, mais la Commission européenne l’a fait figurer sur sa liste des molécules présentant un intérêt potentiel dans la lutte contre l’épidémie de Covid-19.

TC : On a beaucoup entendu parler des anticorps monoclonaux. Peut-on les classer parmi les antiviraux ? Quand sont-ils utilisés ?

DC : Les anticorps monoclonaux sont fabriqués en reproduisant en laboratoire des anticorps isolés chez des patients. On peut, dans une certaine mesure, considérer que les anticorps monoclonaux sont des antiviraux, puisqu’ils s’attaquent au virus. Mais leur intérêt principal est qu’ils procurent une défense immune que l’organisme met normalement une dizaine de jours à acquérir. La plupart de ceux disponibles pour l’instant ciblent la protéine de spicule (protéine « Spike »). Précisons que si les gens ont déjà des anticorps, mais ne contrôlent pas la maladie, ces traitements n’apportent sans doute rien de plus.

Jusqu’à l’arrivée des autres types d’antiviraux, les anticorps monoclonaux constituaient les seuls traitements disponibles en début de maladie en France. Le Ronapreve (un mélange de deux anticorps, Casirivimab et Imdevimab), en particulier, était administré aux patients qui n’avaient pas eux-mêmes développé d’anticorps. Parmi les autres anticorps monoclonaux existants, on peut citer le sotrovimab (nom commercial Xevudy, de GSK et Vir Biotechnology), le regdanvimab (nom commercial Regkirona, du Suisse iQone Healthcare Switzerland), ou encore les associations bamlanivimab/etesevimab (laboratoire Lilly France) et tixagevimab/cilgavimab (nom commercial Evusheld, d’AstraZeneca)).

L’arrivée du variant Omicron a changé la donne : les données in vitro ont montré que le Ronapreve, le Regkirona et la bithérapie de Lilly ont perdu leur activité neutralisante face à ce variant. Evusheld a perdu une partie de son activité, tandis que Xevudy (sotrovimab) a conservé une activité neutralisante, ce qui est peut-être dû au fait qu’il cible une partie différente de la protéine Spike.

En conséquence, désormais la Haute Autorité de Santé ne recommande le Ronapreve que pour traiter les patients infectés par le variant Delta, et préconise plutôt d’utiliser le Xevudy (sotrovimab) en traitement curatif. La possibilité de combiner des anticorps monoclonaux et des antiviraux est à l’étude.

TC : Les antiviraux et les anticorps monoclonaux pourraient-ils être pris en prophylaxie, pour éviter les infections ?

DC : Dans le cas de la bithérapie tixagévimab/cilgavimab (Evusheld), oui, oui. Cependant, il faut rappeler que les traitements par anticorps monoclonaux sont lourds, puisqu’ils s’administrent en intraveineuse à l’hôpital, et que des craintes existent concernant les risques d’émergence de résistance (c’est pour cela que les thérapies contiennent souvent deux anticorps). En outre, leur coût est important (environ 2000 €).

(_les recommandations des autorités concernant cet usage concernent les personnes à très haut risque de forme sévère : patients greffés, patients atteints d’hémopathie lymphoïde, patients recevant un traitement par anticorps anti-CD20, personnes ayant un déficit immunitaire…_ndlr).

Concernant les antiviraux en comprimés, le coût est moins élevé, mais il est de l’ordre de 700 €, ce qui reste beaucoup plus élevé qu’un vaccin. Ils n’ont donc pas vocation à se substituer à la vaccination : il s’agit uniquement de thérapies complémentaires, destinées à réduire au maximum le risque de formes sévères et donc de décès.

Par ailleurs, il est important de souligner qu’il n’existe pas de médicament qui soit dépourvu d’effet indésirable. Pour l’instant, on ne dispose que de peu de données sur ce sujet concernant les antiviraux. Or, dans une situation prophylactique, il faut par définition traiter un très grand nombre de personnes. Il faut donc être certain qu’il n’y a réellement aucun risque sérieux.

La prophylaxie doit se limiter à des situations très particulières, comme dans le cas de l’administration d’anticorps à des gens qui n’ont pas pu monter de défense immunitaire. Car sinon, autant recommander le vaccin : celui-ci est non seulement très efficace contre les formes graves, mais qui plus est, il s’agit probablement du produit de santé qui a été le plus minutieusement examiné jusqu’à présent (grâce notamment à la généralisation des grandes bases de données internationales). On en connaît donc particulièrement bien les risques d’effets indésirables…

TC : La liste dressée par la Commission européenne en octobre comportait quatre immunomodulateurs (tocilizumab (nom commercial RoActemra), sotrovimab (nom commercial Xevudy) et anakinra (nom commercial Kineret), baricitinib (nom commercial Olumiant) et lenzilumab). Comment fonctionnent ces médicaments ?

DC : Les immunomodulateurs ne s’attaquent pas directement au virus, mais agissent sur la réponse immunitaire des malades, pour contrôler la tempête cytokinique qui résulte de l’infection.

Le tocilizumab ou le lenzilumab sont par exemple des anticorps monoclonaux qui ne s’attaquent pas au SARS-CoV-2, mais à des messagers chimiques (cytokines) produits par le patient et essentiels à la réaction immunitaire ainsi qu’à l’inflammation. D’autres molécules immunomodulatrices comme l’anakinra vont plutôt inhiber les récepteurs avec lesquels interagissent ces messagers chimiques, les empêchant ainsi d’agir.

Le tocilizumab était un médicament déjà utilisé contre l’arthrite. Il a reçu une autorisation d’utilisation de l’EMA dans le cadre de la Covid-19 début décembre, car le grand essai clinique britannique Recovery a mis en évidence un effet significatif sur la mortalité : dans le groupe qui avait reçu le tocilizumab, on a constaté 4 % de décès en moins.

L’anakinra, autre médicament déjà utilisé pour traiter la polyarthrite rhumatoïde, a aussi reçu une autorisation de l’EMA. Mais ses effets sont modestes, et il ne semble efficace que chez les personnes avec un taux de suPAR élevé (un marqueur sanguin de la réponse inflammatoire, ndlr). Or ce test n’est pas utilisé en pratique clinique.

Le baracitinib, autre médicament utilisé pour lutter contre la polyarthrite, est actuellement en cours d’évaluation par l’Agence européenne des médicaments. Eli Lilly a mis la molécule à disposition d’EU-Solidact, l’essai auquel je participe, et nous sommes en train d’évaluer ses effets dans le cas de personnes qui sont déjà un stade avancé de l’infection. Pour l’instant, le seul essai qui a été mené par le fabricant ne s’était pas avéré concluant sur le critère de jugement principal de l’étude (progression de la maladie ou décès). En revanche, un effet sur la mortalité a été avéré. Nous sommes en train d’accumuler des données complémentaires, afin de détecter un éventuel effet antiviral. Le traitement a l’air de mieux marcher chez les patients tardifs, qui sont ce que nous incluons dans notre étude.

Enfin, la dexaméthasone reste un traitement de référence. L’essai Recovery a montré que ce corticoïde réduit la mortalité d’un tiers chez les patients les plus gravement atteints.

TC : Existe-t-il d’autres pistes à part celles-ci ?

DC : Les molécules que nous venons d’évoquer sont celles pour lesquelles une certaine efficacité a pu être démontrée chez des patients.

Le reste (interféron, plasma de convalescent, ou des choses plus « exotiques »…) n’a pas fait preuve de son efficacité, mais de nombreux essais sont en cours. Des recherches sur les anticoagulants sont aussi menées, car c’est une composante importante de l’évolution de la maladie. Il s’agit de déterminer le bon niveau d’anticoagulants à administrer en fonction du stade de la maladie, notamment.

On dénombre actuellement 82 traitements à l’essai à des stades avancés en Europe. Outre les essais des firmes pharmaceutiques, plusieurs essais académiques sont menés. Pour les patients hospitalisés, on peut citer l’essai Recovery au Royaume-Uni, Remap-cap (un essai patient financé par l’Union européenne qui existait avant la pandémie), EU-Solidact, ou encore un essai mené dans le cadre d’un réseau international financé par le NIH américain.

Des essais « en ville », en ambulatoire, sont également menés, comme l’essai Principle, au Royaume-Uni : dès qu’un patient reçoit un résultat de test positif, il est informé de l’existence de cet essai, auquel on lui propose de participer. S’il accepte, il reçoit directement les médicaments chez lui, sans avoir besoin de repasser par un médecin. Cela permet d’inclure beaucoup de patients, et serait totalement impossible dans la réglementation française. Dans notre pays, il avait été envisagé de prévenir les patients positifs de l’existence de l’essai Coverage (autre essai en ville), mais les autorisations d’accès aux résultats des tests Covid-19 ont été refusées aux investigateurs.

Cette différence illustre les écarts en matière de conception de la protection des données. En France, il est aussi plus compliqué de croiser les informations provenant de différentes bases de données, ce qui limite beaucoup les possibilités d’analyses. Pourtant, Royaume-Uni comme France sont soumis au RGPD (Règlement général sur la protection des données)… Il y aurait probablement une réflexion à mener à ce sujet, à la lumière de ce que nous a enseigné cette pandémie…The Conversation

Dominique Costagliola, Épidémiologiste et biostatisticienne, directrice adjointe de l'Institut Pierre Louis d’Épidémiologie et de Santé Publique (Sorbonne Université/Inserm), directrice de recherches, Inserm

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

 

 

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