France - Les français et la pornographie à l'heure de la restriction des conditions d'accès aux sites X

Lucile Minnebois

Quelques semaines après le nouveau cri d’alarme lancé par l’ARCOM (exCSA) sur l’exposition de plus en plus précoce des mineurs aux images pornographiques, le tribunal judiciaire de Paris a décalé ce vendredi 7 juillet, son jugement sur la demande de blocage des 5 sites (Pornhub, Tukif, XHamster, Xvideos et Xnxx) les plus consultés dans notre pays.

Il s’agit pour l’ARCOM, à l’origine de cette procédure, d’obliger les sites en question à interdire l’accès aux moins de 18 ans qui peuvent actuellement les consulter en certifiant simplement et sans vérification qu’ils sont majeurs. En amont de la décision du tribunal, l’agence spécialisée en data FLASHS et le média dédié à l’actualité numérique 01Net ont souhaité mesurer le degré d’approbation des Français.es vis-à-vis d’une mesure de restriction de cet ordre et, plus largement, percevoir quel est aujourd’hui leur rapport à la pornographie.

Confiée à l’IFOP, cette étude montre que la volonté d’interdire concrètement les sites X aux plus jeunes est largement partagée dans la population – quand bien même nos concitoyens doutent de son efficacité -, mais aussi qu’une telle mesure ne sera pas sans conséquences sur la fréquentation par les adultes des plateformes en question. Au-delà, l’instauration de conditions d’accès plus draconiennes aux contenus pornographiques apparait comme particulièrement salutaire au regard des conséquences – vision biaisée de la sexualité, reproduction de scènes et de pratiques sexistes, naissance de complexes physiques… - qu’ont leur visionnage sur les jeunes Français.es

L’adhésion aux restrictions d’accès aux site X

Un soutien massif

Une efficacité mise en doute

Souscrire, contourner ou renoncer

Le point de vue de François Kraus, directeur du pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » à l’IFOP

« Alors qu’il aura fallu attendre quinze ans après l’apparition des premiers sites pornographiques en France (2008) pour que les pouvoirs publics s’attèlent sérieusement à en interdire l’accès aux mineurs, force est de constater que ni les Français, ni les amateurs de ce type de contenu semblent vent debout contre une potentielle atteinte à la « liberté du Net ». Au contraire, le dispositif de filtre – dit du double anonymat – envisagé par les autorités rencontre un assentiment massif de la population adulte, y compris chez ceux qui consultent régulièrement ces plateformes. Et, dans l’hypothèse où elle serait réellement appliquée, une telle restriction d’accès au porn aurait un impact certain sur les comportements des amateurs de pornographie en ligne. On pourrait même parler de « petite révolution » au regard du nombre d’amateurs qui envisagent sérieusement soit de cesser de consulter les sites en question (un sur quatre), soit de contourner le système (un sur trois), soit de se plier aux nouvelles règles afin de continuer à visionner leurs contenus légalement (un sur six). Quant aux autres, sceptiques ou attentistes, ils trouveront peut-être une alternative dans d’autres médias à caractère pornographique de plus en plus en vogue comme les sites de webcam ou les podcasts érotiques. »

La consommation de contenus pornographiques

Une exposition de plus en plus précoce

Livres, sites, podcasts, webcams…

Une assiduité très masculine

Le point de vue de François Kraus, directeur du pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » à l’IFOP

« La restriction de l’accès au porn en ligne se fait en réalité dans un contexte d’essoufflement de la fréquentation des sites pornographiques classiques, victimes de la concurrence de certaines alternatives telles que les sites de webcam ou de sex show payants à la OnlyFans qui s’avèrent plus stimulantes pour les jeunes garçons que par le visionnage passif de films X sur une plateforme de streaming. En effet, pour une génération biberonnée au porn dès son plus jeune âge, ces sites de webcams permettent non seulement d’observer du « sexe en direct » mais aussi de se prêter à des échanges fantasmatiques sous la forme de séances d’exhibition des organes génitaux. Certes, il est encore trop tôt pour dire que « OnlyFans a tué Pornhub » mais l’engouement pour ce type de sites, situés à l’interface entre le dating et le porn, est évident, notamment chez des jeunes qui ne bénéficient pas toujours d’un espace propre pour s’adonner à des rapports sexuels. Quant aux jeunes femmes, au rapport plus distant aux sites X ou aux sites de webcam, elles trouvent dans des livres ou les podcasts érotiques des modes de stimulation plus adaptés à leur imaginaire sexuel, probablement parce qu’elles n’y sont pas soumises aux images souvent dégradantes de la femme que renvoie le porno meanstream. »

L’impact sur la sexualité

La pornographie comme apprentissage

Le X, source de complexes physiques

Le point de vue de François Kraus, directeur du pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » à l’IFOP

« Malgré la révolution féministe actuelle et l’essor des discours de type « bodypositif », le visionnage de films X laisse bien, chez les jeunes, des traces dans les corps comme dans les esprits… Car son impact sur la sexualité des Français ne se limite pas qu’à un visionnage passif d’images pornographiques. Notre enquête confirme le rôle des films X dans la construction de leur imaginaire sexuel, notamment chez des jeunes pour qui ils constituent une source d’apprentissage des pratiques et techniques sexuelles. Et, si nombre de jeunes intègrent même les codes et scénographies de la pornographie dans leur répertoire sexuel, ils sont aussi nombreux à être perméables aux représentations du corps véhiculées par ces vidéos. En effet, l’impact de la culture porn transparaît aussi dans sa capacité à imposer ses représentations du corps et des organes sexuels telles que les formes de vulves « parfaites » et épilées totalement, indissociables d’un univers pornographique qui les ont popularisées ces dernières années. En cela, la restriction de l’accès au porn aux mineurs ne doit pas être perçue comme l’expression d’une « panique morale » des parents, mais bien comme un moyen de réduire l’influence d’une culture porn génératrice d'anxiété, de complexes corporels et de divers scripts sexuels sexistes.

Étude IFOP / FLASHS pour 01net réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 13 au 17 avril 2023 auprès d’un échantillon de 2 006 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.

 

Lucile Minnebois (12-07-23)

 


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